Sommaire de l'article
Si l’on parle d’une « classe de langue », la question de l'hétérogénéité ne devrait pas se poser, puisque la notion même de « classe » est supposée permettre le regroupement d’un nombre d’apprenants possédant des niveaux et des compétences langagières plus ou moins similaires. Sabine Kahn montre en effet que la notion de classe est entendue dès le XVe siècle comme « un regroupement d’élèves en fonction du niveau d’avancement dans les études », et donc un lieu où l'hétérogénéité est par définition exclue.
Cette vision est malheureusement trop idéaliste, ainsi que trop simpliste. Elle est idéaliste car les classes de langues ne regroupent pas systématiquement des apprenants ayant un niveau et des compétences similaires, les répartitions hétérogènes étant tributaires des contraintes financières, logistiques ou diagnostiques. Elle est aussi simpliste car l'hétérogénéité ne concerne pas uniquement celle des niveaux ; en effet, même au sein d’une classe où tous les apprenants auraient un niveau et des compétences similaires, d’autres facteurs viennent contrarier la possibilité d’un enseignement unique :
Il ne s’agit ici que d’un aperçu des facteurs hétérogénéisants dans une classe de FLE ; dans une analyse du système éducatif français, Jean-Louis Chiss précise que l'hétérogénéité d’une classe ne saurait être réduite au niveau de maîtrise d’une compétence, mais qu’elle concerne bien un ensemble de facteurs sociaux, psychologiques et culturels :
C'est pourquoi, en conclusion, prenant délibérément le problème par l'autre bout, on soulignera que l’hétérogénéité linguistique, sociale, culturelle des élèves constitue à la fois l'une des réalités centrales du système éducatif et l'un des facteurs essentiels de ce qu'il est convenu d'appeler la « crise » de l'enseignement du français.
Au vu de tous les facteurs pouvant entrer en jeu, c’est bien la classe hétérogène qui nous semble être la norme, la classe homogène étant une exception, sinon une utopie. Ce faisant, la gestion de l'hétérogénéité des apprenants en classe de FLE est donc un problème qui concerne tous les professionnels du FLE.
Gérer
l’hétérogénéité d’une classe demande à l’enseignant de FLE la souplesse nécessaire à une adaptation de chaque minute (nous savons tous qu’un bon cours ne se déroule jamais tel que nous l’avons prévu). Des besoins particuliers émergent en effet durant le cours et, qu’ils aient été identifiés par l’enseignant ou verbalisés par un ou des apprenants, ils attendent réponse :
Différencier, c’est rompre avec la pédagogie frontale, la même leçon, les mêmes exercices pour tous ; c’est surtout mettre en place une organisation du travail et des dispositifs qui placent régulièrement chacun, chacune dans une situation optimale. Cette organisation consiste à utiliser toutes les ressources disponibles, à jouer sur tous les paramètres, pour organiser les activités de telle sorte que chaque élève soit constamment, ou du moins très souvent, confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui.
Il est cependant une réalité qui n’est que trop rarement évoquée depuis l’article de Christian Puren : dans une classe où trois apprenants sur quinze ont un besoin ponctuel ou particulier, le problème d’un enseignant n’est pas Comment répondre à ce besoin ?
En effet, nous savons, en tant qu’enseignants, comment répondre au besoin d’un apprenant. Le problème est dans la gestion de cette réponse : que faire, pendant que nous répondons au besoin de ces trois apprenants, des douze autres ?
Si le renforcement et la remédiation ont leurs vertus, ils ne peuvent systématiquement combler l’attente d’un apprenant qui n’est pas intégré dans un échange didactique. Il nous semble nécessaire d’insister sur ce point :
…la difficulté de gestion de l’hétérogénéité ne découle pas uniquement de la nécessité de répondre à des besoins différents, ce que l’enseignant sait faire, mais de la nécessité de répondre à un faisceau de besoins différents sans qu’aucun apprenant ne se sente délaissé.
Christian Puren fait donc la différence entre la « variation », qui est une diversification successive des tâches d’apprentissage, et la « différenciation », qui implique que les apprenants effectuent des tâches différentes mais de manière simultanée. Puisque nous supposons que la variation est une pratique ancrée partout, c’est bien de différenciation que nous parlons ici. Nous rajouterons cependant une nuance enrichissante à la différenciation telle que définie par Puren : nous verrons effectivement comment Frello facilite la réalisation de tâches différentes simultanément, mais nous verrons aussi qu’il est possible de faire de la différenciation en proposant la même tâche à tous les apprenants.
Avant d’examiner quelques pistes pour la mise en place d’une différenciation, il est nécessaire de préciser ce que n’est pas la différenciation. Nous reprenons pour ce faire les travaux de Philippe Perrenoud :
Faire de la pédagogie différenciée ne signifie pas planifier un enseignement qui ne peut l’être totalement : les référentiels de compétences ne doivent pas constituer une feuille de route immuable.
Il ne peut être envisagé une différenciation définitive en amont, qui passerait par l’analyse des besoins et des spécificités de chaque apprenant : la différenciation ne signifie pas la proposition d’autant de parcours qu’il y a d’apprenants.
La différenciation doit s’émanciper de sa fonction « réparatrice » : elle ne doit pas intervenir trop tard. Concrètement, la différenciation n’a pas vocation à corriger les phénomènes de fossilisation, mais à les prévenir.
Perrenoud résume que puisque la différenciation ne peut être prévue en amont de la situation d’apprentissage (régulation proactive), ni être envisagée uniquement par le canal de la remédiation (régulation rétroactive), elle est un processus continu et adaptatif à l’action pédagogique quotidienne. Cela implique :
Ces implications intervenant avant, pendant et après le cours, c’est sans surprise que les enseignants se retrouvent dans l’incapacité de proposer une diversification dans le contenu qui puisse répondre aux besoins de différenciation, tel que l’écrivent David et Abry :
Le travail préparatoire est très important puisqu’il faut préparer deux ou trois cours en un seul, parfois rédiger des fiches autocorrectives pour gagner du temps.
De leur côté, les méthodes de FLE traditionnelles se retrouvent prisonnières de leur ligne éditoriale et des limites physiques de la méthode ; la proposition d’un panel d’outils différenciants est donc une proposition à l’enseignant, qui peut alors les exploiter pour la mise en place d’une différenciation, sans préparation chronophage, et avec le suivi que permet l’outil numérique.
Travailler avec des petits groupes d’apprenants au lieu de s’adresser à la classe toute entière est la première piste à laquelle pensent les enseignants lorsqu’il s’agit de répondre à des besoins différents. Outre les bénéfices sur le plan de la différenciation, cette démarche permet aux apprenants de gagner en autonomie. Tel que le remarque Catherine David, la mise en place de travail par groupes à des fins de pédagogie différenciée provoque une « dynamique de groupe qui n’est pas toujours pratiquée dans des classes dites homogènes », d’où la forte valeur ajoutée de cette pratique. Elle porte cependant en elle le risque de délaissement que nous citions plus haut :
Cette dynamique engendre un rapport complexe au temps didactique puisque l'enseignant doit veiller à un équilibre entre les moments en classe entière, les moments en sous-groupes. Il doit également faire preuve d'équité en matière de disponibilité car les apprenants n'apprécient pas de travailler seulement en autonomie. Il doit aussi trouver des supports compatibles en termes de durée des activités afin qu'un sous-groupe n'ait pas fini longtemps avant tous les autres. Enfin l'enseignant doit anticiper tous les imprévus qui peuvent se produire dans chaque sous-groupe. L'expérience nous montre que la multiplicité des regroupements est certes nécessaire mais qu'elle engendre une gestion difficile du temps didactique.
C’est dans la perspective de résolution de ces problématiques que les outils de Frello ont été créés :
C’est ainsi par la disponibilité des contenus et la possibilité d’optimiser la gestion de la logistique et du temps que les outils Frello permettent la mise en place d’un travail par sous-groupes, sans que les apprenants ne se sentent délaissés.
Enfin, en fonction de la compétence travaillée et du jugement de l’enseignant, la réalisation du module peut être demandée individuellement ou en groupe, les apprenants d’un sous-groupe auraient alors à réfléchir ensemble aux solutions (réflexions communes, interactions augmentées, encouragements à la prise de parole).
Le Lernen durch Lehren (LdL), ou « apprendre en enseignant », est une technique d’enseignement développée par Jean-Pol Martin et pratiquée en Allemagne depuis les années 1980, dont les bases théoriques sont décrites ici. Il s’agit de demander à un apprenant de se placer en tant qu’enseignant, cette démarche nécessitant la maîtrise de la compétence enseignée.
Ponctuellement, cette technique peut permettre la mise en place d’une forme de différenciation si elle est combinée au travail par petits groupes. Instinctivement, la répartition des groupes se fait justement pour créer des sous-groupes moins hétérogènes. Nous proposons que, ponctuellement ou quand cela est nécessaire, cette répartition ne soit justement pas dans un souci d'homogénéité des groupes. Au lieu de faire un groupe où il n’y aura que des apprenants de niveau A2, le groupe sera par exemple constitué de deux apprenants A2 et de deux apprenants B2. Cependant, il ne sera pas demandé aux deux apprenants de B2 la simple réalisation du module, mais l’accompagnement des deux apprenants A2. Ils auront alors à formaliser, expliquer, préciser, sous la supervision de l’enseignant qui circulera entre les groupes pour apporter les informations complémentaires et répondre aux éventuelles questions.
Cette pratique peut passer par l’assignation de modules structuraux :
Les apprenants les plus faibles construisent leur savoir grâce à l’aide des apprenants les plus avancés qui sont alors dans une démarche de remédiation, qui leur permet d’identifier les limites de leur maîtrise d’une compétence qu’ils croyaient acquise. Par ailleurs, les questions et les explications permettent des interactions plus riches et plus nombreuses, mais surtout plus authentiques. En effet, l’objectif ne se limite plus à la réalisation d’un exercice structural, mais à l’accompagnement à sa réalisation, ce qui place cette technique dans une démarche actionnelle, car les intentions de parole sont alors authentiques.
Il est également possible de demander à un sous-groupe hétérogène de réaliser collectivement une tâche de production, il s’agit ici de présenter succinctement l’histoire de France :
Là encore, chaque apprenant fait ce qui lui permet de construire ou de consolider ses compétences, les apprenants les plus avancés ayant à expliquer divers points linguistiques, sociolinguistiques ou pragmatiques aux plus faibles. L’expérimentation de cette pratique nous montre que l’activité langagière qui en découle dépasse très souvent l’objectif initial : les apprenants discutent entre eux, les plus avancés prennent plaisir à expliquer aux autres tandis que les plus faibles se construisent des stratégies d’apprentissage plus autonomes.
Ce n’est donc pas le support qui détermine les limites d’une activité, mais le rôle que l’on attribue à chacun lors de la réalisation de cette activité.
Les outils Frello proposent de très nombreuses activités ludo-éducatives, ou des « jeux sérieux ». Lors de ces activités, l’apprenant n’est pas sollicité pour une réflexion-réponse sur la langue elle-même, mais pour trouver une solution à un problème ludique, ou des informations culturelles. Durant ces activités, l’apprenant est néanmoins obligé de manier la langue pour pouvoir comprendre et proposer des solutions, et la langue devient alors un moyen et non une finalité.
Outre les bienfaits reconnus de ces activités, elles permettent une différenciation. En effet, nous avons systématiquement pensé ces activités pour qu’une activité proposée au niveau A1 puisse néanmoins intéresser tous les niveaux supérieurs, y compris des natifs. Autrement dit, une activité ludo-éducative de niveau x peut être proposée à tous les niveaux supérieurs, la difficulté de l’activité résidant dans sa réalisation et non dans la complexité de la langue.
C’est pour cela que ces activités peuvent être proposées à des groupes hétérogènes. L’entraide se fait alors dans les deux sens, un apprenant de A2 pouvant aider un apprenant de B2 à la résolution du problème, comme dans les exemples suivants :
Réalisées collectivement, ces activités permettent des interactions qui donnent lieu à plusieurs questions logiques et formelles. L’enseignant joue alors le rôle de coordinateur entre les groupes.
La condition première, constante et dernière de la mise en place d’une pédagogie différenciée est l’identification des besoins, et donc l’évaluation (nous proposons un schéma de l’évaluation sur Frello ici). Sur Frello, cette évaluation est rendue possible grâce à l’outil de suivi à disposition des enseignants, qui permet une vision globale, individuelle, détaillée ou granulaire de l’avancée des apprenants (Ces diagrammes de compétences sont présentés en détail ici). En voici un aperçu :
Perrenoud fait un constat : dans la littérature, dans les mouvements pédagogiques, dans les textes officiels et dans les formations initiale et continue, il y a bel et bien rupture avec la pédagogie de la transmission (l’enseignant transmet verticalement le savoir) pour une vision où l’enseignant est une « personne-ressource » dont le rôle est d’organiser les situations d’apprentissage ; mais dans les faits, « les représentations de l’enseignement et de l’apprentissage restent assez traditionnelles ».
Les raisons de ces entraves sont nombreuses et complexes (formation des enseignants, remise en question de leurs pratiques enseignantes), mais elles concernent, au moins en partie, la disponibilité des moyens et des outils, tels que le résument Catherine David et Dominique Abry :
En effet, l'enseignant doit réfléchir aux activités proposées à chaque sous-groupe mais aussi à la classe entière, anticiper des activités compatibles en termes de temps et qui lui permettent de s'occuper d’un groupe pendant que les autres travaillent en autonomie. Il doit aussi anticiper les corrections qui seront plus nombreuses et plus variés que dans une classe “homogène”, organiser des activités en amont et en aval du cours.
C’est pour la mise à disposition de ces moyens que Frello a été créé. Pouvant être utilisés avant, pendant ou après la classe, les outils de Frello permettent la mise en place d’une différenciation de qualité qui prend en compte les besoins de tous les apprenants. Non seulement leur progression s’en voit accélérée, mais ils gagnent également en autonomie et en motivation.
Le numérique répond alors à un problème pédagogique que rencontrent enseignants et apprenants. Que le recours au numérique soit motivé par un besoin réel est la condition sine qua non, selon nous, de son implémentation en classe de FLE.
Gagnez du temps, enseignez plus facilement.